[avis] Livre Made in Italy par Giuseppe Iorio : mauvaises conditions de travail & le vrai coût du Made in Italy

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C’est en me renseignant sur les vêtements et les coûts de fabrication que j’ai entendu parler du livre « Made in Italy » de Giuseppe Iorio. Suite au scandale de Dior et Armani qui font fabriquer leurs sacs hors de prix dans des ateliers illégaux en Italie, j’ai voulu me renseigner davantage sur le « Made in Italy » et ce livre a pu répondre à toutes mes questions.

Le livre date un peu et il est uniquement disponible en italien. Mais cela ne me pose aucun problème car grâce à l’IA, je peux désormais traduire n’importe quel livre pour mon usage personnel. Beaucoup de professionnels travaillant en Italie aimeraient aussi que ce livre soit traduit en anglais mais ça n’a jamais été fait.

Aujourd’hui, je vais vous donner des informations que j’ai trouvé intéressantes dans le livre.

Giuseppe Iorio travaillait pour le grand groupe textile italien Ittierre, et devait aller régulièrement voir les usines dans le monde entier pour signer les contrats ou veiller l’avancement. Le pire, c’est qu’il ne travaillait même pas pour la fast fashion, mais des marques de luxe italiennes.

Le livre commence par un récit d’un n-ième voyage de l’auteur en Transnistrie. On le suit d’abord en Transnistrie où il explique que le pays est sous une dictature. Le coût de la main-d’œuvre est donc fixé par Smirnov, le dictateur. Ici, c’est l’argent sale, des salaires de misère, des conditions de travail atroces.

En Transnistrie, un vêtement luxueux peut être produit pour 20 euros pièce. Contre 50 euros en Italie et 35 euros en Roumanie. « Les grandes marques de mode ont largement les marges pour pouvoir travailler en Italie, étant donné qu’elles revendent leurs produits à des prix scandaleux par rapport à la qualité qu’elles offrent. »

Pour des blousons valant 1000 euros, ils peuvent clairement nous facturer 30 euros de plus pour couvrir la fabrication en Italie. Non, pour économiser ces 30 euros, ils préfèrent ne rien savoir et produire par cher ailleurs qu’en Italie. Pourquoi ? Il affirme qu’on est dans un système basé sur « la main d’œuvre la plus désespérée possible (…) le principe fondamental est celui de l’économie à tout prix ». Le système est également basé sur la vitesse. « Vitesse dans la production et vitesse dans les livraisons. La vitesse, c’est l’économie. La vitesse, c’est envahir le marché avant les autres ».

Je répète, ici, on est chez les marques qui ont beaucoup de marges et qui nous vendent des vêtements à 400, 600, 1000 euros.

« Le coût est calculé à la minute. La dépense de main-d’œuvre est évaluée en centimes par minute : en Italie, c’est quarante centimes par minute de travail (c’est ce que coûte un ouvrier travaillant sur machine), en Roumanie ce devrait être quinze ou même treize, en Bulgarie onze, en Moldavie et en Serbie dix ou moins, en Arménie zéro virgule huit… »

« Des matériaux bon marché associés à un très faible coût de main-d’œuvre et hop ! En boutique, ils te proposent, bien emballé à mille euros, un vêtement qui en vaut à peine trente ! »

Il compare l’industrie textile moderne à une nouvelle forme d’esclavagisme.

Beaucoup de chinois sont « importés » de Chine pour travailler dans des sweatshops, aux sous-sols à la périphérie des villes italiennes (Prato par exemple).

« Une fois en Italie, ils devraient travailler au moins deux ans gratuitement pour pouvoir rembourser la dette convenue, ou plutôt extorquée par ces maudits mafieux qui leur avaient accordé le « privilège » d’un voyage fait dans des camions sales et délabrés, de journées interminables passées dans des caisses sordides et avec peu ou rien à manger. »

Mais cette pratique s’est étendue aussi dans les pays européens moins chers, comme la Roumanie. L’usine Sonoma à Bacau (Roumanie) trouve que les roumains demandent trop (ils auraient dû se contenter de 260 euros par mois!) donc ils ont importé de la main-d’œuvre de Bangladesh, Sri Lanka et des régions reculées de Chine. Les logements des ouvriers sont à l’intérieur même des hangars où ils travaillent. Avec des couchettes collées les unes aux autres, placées à quelques mètres des lignes de confection et de production. A cause des restrictions de leur visa, ils ne sont pas autorisés à circuler librement en territoire roumain et sont accompagnés pour leur sortie hebdomadaire le dimanche, pour faire les courses (la nourriture étant à leur charge). Donc 6 jours de travail par jour. La charge de travail est énorme et les ouvriers peuvent être amenés à travailler 18h par jour s’il le faut, et même le dimanche. Les coûts de fabrication ici sont même inférieurs à ceux de la Chine elle-même. Le travail sort des mains des chinois, mais ce n’est pas « Made in China », c’est « Made in Romania », en Europe donc. De très grandes marques italiennes sont produites ici.

L’auteur nous amène ensuite voir une usine en Bulgarie, dans une prison transformée en atelier de couture, dans la province de Padoue. Il explique que beaucoup d’étapes sont faits à la main car la machine coûte plus cher que l’humain. Par exemple, un traitement chimique pour délaver les jeans s’appelle « sablage ». Ce procédé demande de pulvériser des poudres fines dont la poussière est nocive, mais « le procédé, lors qu’il est réalisé avec les technologies appropriées, a un coût relativement élevé et c’est pourquoi, m’explique-t-on, il a été décidé de réduire les coûts en venant en Bulgarie pour effectuer ce type d’opérations. La seule façon d’économiser est de ne pas utiliser de machines robotisées, et la seule manière de ne pas les utiliser est de faire les opérations manuellement ». Il y a une autre tâche : remplir les doudounes de duvet. C’est une tache qu’on peut également automatiser avec une machine car c’est très un travail répétitif et dégradant. Ici, pas de soucis, c’est aussi une femme qui s’en occupe toute la journée, toute sa vie. « Le travail a un sens quand il donne de la dignité. Ici, au contraire, on s’est vraiment efforcé à piétiner cette dignité ».

Il y a un passage très intéressant sur les doudounes :

« La plume des doudounes n’est pas la vraie plume d’oie, les plumes et les petites plumes sont écartées, sélectionnées dans certains silos en bois comme je l’ai vu faire lors des nombreuses visites dans les usines des producteurs.
La plume des doudounes est ce qui reste de la sélection. On l’appelle « flocon ». C’est la partie la plus douce, faite de fibre et d’air. Elle n’a presque pas de poids, un gramme fait déjà un sachet assez grand et très léger. Si on en serre un peu dans le poing, elle se comprime, disparaît presque pour ensuite s’expandre et s’épanouir avec la consistance d’un pissenlit, quand soudainement on rouvre la main. C’est presque impalpable, on n’arrive pas à en évaluer le poids.(…)
Les plumes chinoises arrivent ! Désormais, toujours au nom des économies au détriment de la qualité, les producteurs n’achètent presque plus le doux « flocon » de duvet dont les Français sont les maîtres de production. Les achats de ce matériau précieux et spécial pour le rembourrage des duvets se font maintenant de plus en plus souvent en Chine. La qualité est complètement différente. (…)
Les plumes qui viennent de Chine ne sont pas du tout impalpables ! Premièrement, les Chinois sont beaucoup plus approximatifs dans le tri des plumettes d’oie et leur sélection pour obtenir le « flocon ».
Deuxièmement, les animaux. Les oies françaises sont adultes et surtout grasses, délibérément engraissées pour obtenir cette délicatesse toute française qu’est le foie gras. Cet « engraissement » excessif rend leurs plumes particulièrement douces. Évidemment, le « flocon » français est précieux et coûteux.
Les Chinois mangent des oies et des canards très jeunes, ils les grillent en un rien de temps dans les millions de friteries éparpillées partout. Dans leurs élevages, ils n’ont pas le temps d’attendre qu’une oie grandisse et s’engraisse correctement.
Ils produisent des tonnes de plumes mais de très mauvaise qualité.
Si vous vous demandez pourquoi votre coûteuse veste « perd ses plumes », la réponse réside dans le fait que la plume chinoise à l’intérieur n’est pas du tout douce. Ainsi, après quelques mois à porter votre vêtement de marque cher et adoré, la plume perce le tissu extérieur et la veste « perd ses plumes » comme n’importe quelle veste de marché de quartier. »

A propos de Moncler, il affirme :

« Désormais, la douce plume d’origine française est considérée trop coûteuse et le rembourrage est fait de plumes de qualité douteuse, souvent stockées dans des entrepôts dans des conditions non optimales. Puis, pour réduire encore les coûts, elle est même recyclée ! Le résultat est que, étant un produit d’origine animale, elle se détériore et perd toutes ses caractéristiques de douceur. »

Mais les usines qu’il nous amène visiter ne sont pas les pires. Je cite :

« De toute façon, nombreux sont ceux qui font produire dans des usines comme celles-ci, et il existe des structures encore pires que celles que j’ai décrites, dans le sens où elles exploitent davantage (aussi étrange que cela puisse paraître !) et sont moins bien organisées. On en trouve en Europe de l’Est, en Afrique du Nord, en Asie, des bassins de misère au-delà de toute imagination, et c’est précisément là que nous trouvons 80% des prestigieux noms du « Made in Italy ». Ils sont tous unis par la même politique et la même avidité.

Prada, Armani, Moncler, Fay, Boggi Milano, Dolce & Gabbana, Tod’s, Zegna, Versace, Scervino, Ferragamo, Max Mara, Pedrini, Marina Rinaldi, Marella, John Galliano, Luisa Spagnoli, Cavalli, Costume National, Patrizia Pepe, Elena Mirò, Motivi, Alberta Ferretti, Harry Cotton’s, Marina Yachting, Gaultier, Moschino, Burberry, Calvin Klein, Blauer… Ce ne sont que quelques-uns. »

La loi Reguzzoni-Versace-Calearo accorde l’étiquette « Made in Italy » aux produits dont au moins deux phases de production sur quatre sont d’origine italienne. Par « phase de production », on entend aussi le finissage, l’emballage, les finitions, la provenance du tissu. Donc : un vêtement fait intégralement en Moldavie, il suffit de le repasser et de l’emballer en Italie pour qu’il obtienne l’étiquette « Made in Italy ». Ou encore : un vêtement fait intégralement en Arménie, mais avec du tissu italien (pas tout le tissu du vêtement, la doublure suffit) et les boutons posés en Italie, aura sa belle étiquette « Made in Italy ». Ils ont légalisé ce qui était illégal jusqu’à récemment. (…) L’astuce est simple : il suffit de gonfler les coûts des phases de finition pour qu’ils apparaissent supérieurs à ceux de la main-d’œuvre (faite à l’étranger). Et voilà, le tour est joué. »

En délocalisant, des milliers d’emploi sont perdus en Italie. L’artisanat et le savoir-faire manuel une fois perdus ne se récupèrent plus. Même si l’on veut maintenant reproduire en France ou en Italie, une fois les maillons perdus, on ne peut plus réinstaurer toute la chaîne de production.

L’Asie a très bien compris que l’Europe avait besoin d’eux plus qu’ils avaient besoin de l’Europe.

« il est apparu que les coûts des matériaux en Asie augmentent inexorablement avec le coût de la main-d’œuvre, en raison de la croissance de la demande intérieure là-bas. Donc. Premièrement : la main-d’œuvre commence à ne plus être aussi avantageuse qu’avant.
Deuxièmement : acheter tout sur place – tissus, accessoires, modèles – pouvait être un avantage il y a quelques années. Aujourd’hui, c’est devenu une imposition de la part des entreprises asiatiques. Et avec les prix des matières premières en hausse.
Troisième point : la distance. La distance joue un rôle déterminant qui n’est pas compatible avec les délais de livraison rapides exigés par les fournisseurs et les clients finaux.
Ces trois points seraient plus que suffisants, mais il y a autres choses.
Étant donné que pour produire leurs vêtements en Asie, les marques de mode sont contraintes d’acheter tout sur place, le produit tend à se dépersonnaliser et à s’uniformiser selon des caractéristiques « globales ». Bref, on voit qu’un vêtement est chinois. Les tissus sont toujours les mêmes, les couleurs, les accessoires et tout le reste se copient les uns les autres. L’objectif du « Made in Italy » devrait être de produire des articles uniques et inimitables, mais on va justement en Extrême-Orient qui est le berceau du manque d’originalité et d’inventivité. Le résultat : des confections qui semblent faites « en série », dépourvues de caractère et d’artisanat.
Les stylistes du « Made in Italy » ne le savent que trop bien. Mais le changement de cap est très difficile. Ils sont souvent contraints de rester en Asie car ils n’ont pas d’alternative et surtout, il est impossible de revenir en arrière après vingt ans de terre brûlée en Italie.(…) Donc, en faisant bien les comptes, tout cet avantage économique dans la délocalisation n’existe pas. (…)
En Chine, il faut se soumettre aux minimums de production exigés par les entrepreneurs locaux. Cela entraîne une conséquence commerciale particulière : si je n’atteins pas les minimums de production, j’ai deux options, soit produire plus que nécessaire, soit payer un coût très majoré pour une petite production.
Mais les propriétaires des usines chinoises ne considèrent même pas la petite production. S’il y a peu de production, ils ne la font pas, point final. (…) Le résultat de la délocalisation en Asie est que les Chinois deviennent les gestionnaires absolus de tout ce qui concerne la production des articles de prêt-à-porter italien. Ce seront de plus en plus eux qui en détermineront le coût, et ce à cause du « système mode » italien. »

Les usines se font payer tellement peu qu’elles en profitent aussi pour duper les marques. Par exemple, elles vont produire des copies conformes de l’original avec exactement les mêmes processus de fabrication, mêmes matières premières… ensuite elles vont les écouler aux boutiques de revendeurs, qui les revendent pour le même prix que l’original. Sauf que techniquement, ça n’a de faux que de nom, car c’est une copie conforme. Cette « double production » est observée partout où l’auteur travaillait, en Bulgarie, en Roumanie, en Moldavie…

« Le producteur pense : « Ils me paient dix euros pour coudre une doudoune Moncler ? Armani me donne trente euros pour confectionner un costume. Moi, qui dois absolument accepter le travail par nécessité, aux deux mille qu’ils m’ont régulièrement commandés, j’en ajoute quatre ou cinq mille autres faits par moi! »
Le commerçant pense : « Ils me les font payer cher et je ne peux appliquer qu’une marge de cent pour cent avec le risque qu’il m’en reste sur les bras ? Bien! Aux dix originaux achetés régulièrement, j’en ajoute vingt parallèles ».
Il n’y a pas de différence entre l’original et le parallèle. Il ne s’agit pas ici des contrefaçons, celles faites en Chine que vous voyez sur les vendeurs de DVD piratés.
Ici, la différence réside uniquement et exclusivement dans le prix. Évidemment dans le prix que le revendeur paie au fabricant. Mais ce petit détail, l’acheteur, c’est-à-dire le consommateur final, ne peut pas s’en apercevoir car on le lui vend au même prix que l’original. »

Bref, on sait déjà que la fast fashion est de mauvaise qualité. Mais les vêtements qui coûtent 1000 euros aussi. Il parle d’une robe produite pour 7 euros revendue 400 euros en magasin. Des doudounes qui coûtent 40 euros et revendus 600 euros aux consommateurs. Même en payant le prix fort, on n’a plus accès à la qualité, ni au « Made in Italy ». Le « made in Italy » disparaît peu à peu car le vrai savoir-faire disparaît également de ce pays. Maintenant, tout le monde peut imiter à la perfection, voire dépasser le « made in Italy ».

J’espère que cet article vous a plu. J’espère sincèrement que ce livre sera traduit et mis à jour, car il dit tout ce que tout le monde sait et se tait dans l’industrie de la mode. Il est temps que ça change.

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Anh est toujours très occupée à profiter de jolies choses, et à fabriquer de petites bricoles de ses propres mains. **** Hi, my name is Anh. I am a Vietnamese-French DIY passionate, beauty lover and cosmetic tester.

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